Paroisse Sainte Jeanne-Elisabeth et paroisse Saint Martin: edito

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21 avril 2023

3 repères spirituels (suite)
avril 21, 20230 commentaire

2 – équilibrer action et contemplation  :

         Témoin d’un Dieu qui s’engage et s’incarne dans les tourments de l’aventure humaine, Jeanne se fait servante de la conversion de l’Histoire pour qu’elle puisse redevenir une Histoire du Salut. Mais renverser le cours dramatique de l’Histoire  pour réordonner celle-ci au dessein salvifique de Dieu, n’est à la portée que de Dieu lui-même. Et pour devenir servante d’un tel projet, l’on devine que Jeanne dû surmonter les mêmes et légitimes timidités qui furent celles de Moïse au buisson ardent : « Qui suis-je pour aller trouver Pharaon, et pour faire sortir d’Égypte les fils d’Israël ? » (Ex 3, 10). Nous connaissons la suite de cette conversation : Moïse dit encore au Seigneur : « Pardon, mon Seigneur, mais moi, je n’ai jamais été doué pour la parole, ni d’hier ni d’avant-hier, ni même depuis que tu parles à ton serviteur ; j’ai la bouche lourde et la langue pesante, moi ! »  Le Seigneur lui dit : « Qui donc a donné une bouche à l’homme ? Qui rend muet ou sourd, voyant ou aveugle ? N’est-ce pas moi, le Seigneur ? Et maintenant, va. Je suis avec ta bouche et je te ferai savoir ce que tu devras dire. » (Ex4, 10-12). Ainsi donc, Jeanne, comme Moïse en son temps, va vivre l’expérience de l’inspiration pour être en capacité d’accomplir sa mission. Cela suppose que la vie active soit préparée et commandée par une vie contemplative. A en croire ses contemporains et à la croire elle-même, cette articulation exemplaire entre action et contemplation se noue dans son rapport à ses voix et aux sacrements.  Alors qu’en est-il à ce propos, et qu’est-ce que cela peut nous dire aujourd’hui ? 

2, 1 - A l’écoute des voix :

Lors du procès de réhabilitation, les témoignages des habitants de Domremy décrivent Jeanne comme une fille de son temps, reconnue comme pratiquante assidue selon les critères de l’époque. Dans son ouvrage intitulé  “Jeanne d’Arc, par elle-même et par ses témoins”, Régine Pernoud cite, entre autre, la déposition d’un laboureur de 44 ans, Simonin Musnier, qui raconte : « J’ai été élevé avec Jeanne la Pucelle à côté de la maison de son père. Je sais qu’elle était bonne, simple, pieuse, craignant Dieu et ses saints ; elle allait souvent et volontiers à l’église et aux lieux saints, soignait les malades et donnait l’aumône aux pauvres ; cela je l’ai vu, car j’ai été moi-même malade et Jeanne venait me consoler (…) ». Les autres témoignages concordent pour la décrire comme une fille de prière, d’une prière simple, mais fervente, apprise en famille et vécue en Eglise.  Ainsi, celui d’un autre laboureur qui fut son camarade d’enfance, un certain Colin de Greux : « Elle allait volontiers à l’église, comme je l’ai vu, car chaque samedi après-midi, Jeanne, avec sa sœur et d’autres femmes, allait à l’ermitage de Notre-Dame de Bermont et portait des cierges ; elle était très dévote envers Dieu et la bienheureuse Vierge, au point qu’à cause de sa piété, moi-même, qui était jeune alors et d’autres jeunes gens, nous la taquinions(…) ».

Familière de Dieu, habituée à la prière, Jeanne a 13 ans en 1425, lorsqu’elle “entend des voix” qui lui parlent de la part de Dieu. Le 22 février 1431, au cours de la seconde audience publique de son procès, elle explique : « Quand j’eus l’âge de 13 ans, j’eux une voix de Dieu pour m’aider à me gouverner (…) ». Au fil de l’entretien elle précise que la voix « (…) m’enseigna à bien me conduire, à fréquenter l’église. Elle me dit qu’il était nécessaire que je vinsse en France. »  A Jean Beaupère, (l'un de ses juges et amis personnel de l'évêque Cauchon), qui continue de la questionner, elle dit un peu plus tard au cours d’une explication : « Alors j’avais fréquemment mes voix, avec celle dont  j’ai déjà fait mention. » (p. 40) Ainsi apparait un passage du singulier au pluriel, qui permet au fil du procès de distinguer ce que son interrogateur appelle “la voix qui vient à vous”, une voix singulière et particulière qui conseille personnellement Jeanne dans ce qu’elle à dire et à faire. Et des voix plurielles identifiée le 24 février lors de la troisième audience publique :

Jean-Beaupère l’interroge en demandant :  «Etait-ce voix d’ange qui vous parlait, voix de saint, de sainte ou de Dieu sans intermédiaire ? » D’une réponse à l’autre, Jeanne s’explique en précisant : « c’est la voix de Sainte Catherine et de sainte Marguerite. (…) je sais bien que ce sont elles, et je les connais bien l’une de l’autre. Je les connais par le Salut qu’elles me font. Il y a bien sept années qu’elles m’ont prise pour me gouverner. Je les connais parce qu’elles  se nomment à moi. (…) j’ai eu aussi confort de Saint Michel. (…) ce fut Saint Michel que je vis devant mes yeux. Et il n’était pas seul, mais bien accompagné d’ange du ciel. »

Mais, juste avant ces précisions, (p 65) Jeanne a pu évoquer des difficultés ponctuelles de compréhensions “des voix”. Au cours de la conversation, elle dit en effet à propos de la voix et d’un sujets particulier : « je ne la comprenais pas bien, et ne comprenais chose que je puisse répéter jusqu’au retour en ma chambre. » Elle réaffirme plus loin n’avoir pas bien comprise sa voix à propos d’une autre question,  avant de dire, pour justifier un refus de répondre : « sur aucuns points, j’ai eu conseil ; et sur aucuns on pourra me demander réponse, sur quoi je ne répondrai pas sans congé. Et si je répondais sans congé par aventure, je n’aurais pas les voix en garant. Quand j’aurais congé de Notre Seigneur, je ne craindrais pas de parler, car j’aurai un bon garant. »

Cela signifie que l’encouragement plusieurs fois réitéré “des voix” à “répondre hardiment” à ses juges ne signifie pas pour Jeanne d’avoir à réagir sur le fait ni à rétorquer du tac au tac. Son sens de la répartie, devenu légendaire, n’est pas une imprudence qui s’octroierait l’économie d’un temps de réflexion.  Dans les tumultes de son temps, Jeanne défend et protège la nécessité de la durée pour un bon discernement.

En cela, Jeanne se révèle configuré à l’humilité du Christ prophète, dont l’évangile de Jean nous transmet les propos suivants : 

Alors, Jésus s’écria : « Celui qui croit en moi, ce n’est pas en moi qu’il croit, mais en Celui qui m’a envoyé ; et celui qui me voit, voit Celui qui m’a envoyé. Moi qui suis la lumière, je suis venu dans le monde pour que celui qui croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. Si quelqu’un entend mes paroles et n’y reste pas fidèle, moi, je ne le juge pas, car je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver. Celui qui me rejette et n’accueille pas mes paroles aura, pour le juger, la parole que j’ai prononcée : c’est elle qui le jugera au dernier jour. Car ce n’est pas de ma propre initiative que j’ai parlé : le Père lui-même, qui m’a envoyé, m’a donné son commandement sur ce que je dois dire et déclarer ; et je sais que son commandement est vie éternelle. Donc, ce que je déclare, je le déclare comme le Père me l’a dit. » (Jean 12, 44-50)

Cette déontologie de la prise de parole publique, qui conduit Jeanne comme Jésus à s’effacer derrière celui qui les envoie, en se donnant les moyens d’authentifier ce qu’ils disent comme provenant bien d’un autre qu’eux-mêmes, s’enracine dans le souci constant de l’écoute. A ce sujet, la lecture du procès nous permet de constater ce que l’on pourrait désigner comme un sens profond de la responsabilité prophétique chez Jeanne. En toute franchise et simplicité, elle évoque quelques fois des difficultés à comprendre ses voix, et la nécessité d’un délai de discernement pour vérifier, clarifier et authentifier ce qu’elle perçoit. Il lui arrive d’ailleurs d’exiger que ce délais lui soit accordé, non pas comme stratégie de défense, mais plutôt comme durée nécessaire à un discernement dans l’Esprit. De fait lorsqu’au cours de l’interrogatoire du 24 février 1431, Jean Beaupère lui demande : « la voix vous a-t-elle défendu de dire révélations ? », Jeanne avoue son ignorance à ce sujet et demande un report de la réponse en disant : « De cela, je n’ai pas été conseillée ? Donnez-moi délai de quinze jours et je vous répondrais sur cela. Si la voix me l’a défendu, que voulez-vous y redire ? »

Jamais, Jeanne ne se laisse presser par ses juges et ne confond vitesse et précipitation.  Là encore, il semble se rejouer une page d’Evangile, précisément celle de la visite de Jésus chez Marthe et Marie. St Luc la raconte comme suit :

    Chemin faisant, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quand à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. » (Luc 10, 38-42)

Dans ce récit se joue l’appel à établir un juste rapport entre action et contemplation. Jésus subordonne la première à la seconde, et face à Marthe, il défend la part de la vie de Marie consacrée à se tenir à ses pieds pour écouter sa Parole. C’est exactement l’attitude que Jeanne adopte au cours de son procès. En différant ses réponses pour se donner le temps d’en recevoir l’inspiration, elle protège coûte que coûte la part de son temps consacré à se tenir en présence de Dieu pour écouter sa Parole. Et pour être femme de Parole, il faut que Jeanne, en Christ, soit d’abord femme d’écoute. Et dans ce primat de l’écoute des voix, dans ce refus d’être à elle-même sa propre référence, s’équilibre un juste rapport entre action et contemplation.


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18 avril 2023

Jeanne d'Arc, une sainte pour aujourd'hui I
avril 18, 20230 commentaire


 Vaincre quelques réticences :

           Dès que nous avons décidé d’organiser une mission paroissiale autour de la figure de Ste Jeanne d’Arc, il est immédiatement apparu que la Pucelle d’Orléans ne faisait pas l’unanimité des dévotions. En 2023, il y existe, chez les uns et les autres, des réticences à la mettre en valeur, et pourtant, pourtant, elle est à la fois héroïne nationale et sainte catholique, élevée au panthéon de nos gloires patriotiques bien avant d’être canonisée par l’Eglise. Rares sont les églises de  nos diocèses qui, à l’instar de St Antoine de Padoue, de Ste Bernadette, du curé d’Ars et de Ste Thérèse de Lisieux, ne contiennent pas une effigie de Jeanne d’Arc ! Elle est bel et bien figure de Foi et modèle d’une vie évangélique. Elle doit bien avoir quelques chose à nous dire encore aujourd’hui, alors, commençons peut-être par prendre le temps de lever les quelques réticences !

 La première réticence, la plus évidente, c’est qu’elle fit l’objet de récupérations politiques, anciennes et récentes, qui firent parfois grand bruit dans le paysage médiatique. L’héroïne nationale fut souvent réduite au statut d’égérie nationaliste, de sorte que s’intéresser à Jeanne d’Arc nous rend facilement soupçonnable d’appartenir à un parti et de militer en sa faveur. Ainsi par exemple, sous la III° république, dans un contexte d’extrême polarisation politique, la figure et l’héritage de Jeanne furent constamment revendiqués par des camps antagonistes. Mais n’est-ce pas justement la succession de ces vaines tentatives d’appropriations indues qui atteste de l’universalité de Jeanne en laquelle beaucoup se reconnaissent et s’identifient, et bien au-delà des frontière de la France ? D’une récupération à l’autre, elle finit par échapper à toutes, et son universalité ne se laisse pas réduire.

La seconde réticence, quasi immédiate elle aussi, c’est le malaise que nous avons d’imaginer la sainteté compatible avec l’emploi des armes et le métier militaire.  Jeanne d’Arc fut un chef de guerre, un général des armées française qui mena ses troupes au combat et prit part à la bataille. Mais  nous savons bien qu’ici-bas, dans ce monde qui est le nôtre, il est des violences qui ne s’arrêtent pas avec la diplomatie et la persuasion. Il faut hélas consentir à ce que l’usage de la force devienne inéluctable, à la fois nécessaire et légitime pour protéger le faible, rétablir le droit et la justice. Dans l’Evangile de Luc, Jean-Baptiste ne demande pas aux soldats de changer de métier pour se convertir, mais simplement d’accomplir leur devoir d’une certaine manière : « Ne faites violence à personne, n’accusez personne à tort ; et contentez-vous de votre solde. » (Luc 3, 10-15).

La troisième réticence plus diffuse et culturelle celle-ci, c’est que Jeanne fit l’objet d’un nombre considérable de romans et de film, dans lesquels l’imagination à souvent pris des libertés avec la vérité de l’histoire. De la sorte, il existe “des légendes” de Jeanne d’Arc, qui façonnent dans nos mémoires une image déformée de ce qu’elle fut réellement. Que l’on pense par exemple aux crises d’hystéries de Milla Jovovitch dans la “Jeanne d’Arc” de Luc Besson en 1999. Il faut régulièrement que des historiens sérieux s’emploient à redire la vérité et corriger les erreurs. Régine Pernoud hier, Valérie Toureille aujourd’hui, nous redisent qu’il n’y a pas de personnage au XV° siècle sur lequel nous sommes le mieux et le plus abondamment documenté. Mais il nécessaire de prendre un peu de distance avec l’image spontanée que nous avons d’elle, en nous redonnant les moyens  de “réviser nos cours d’histoire”.

 Et c’est en prenant le temps et les moyens de mettre à jour nos quelques souvenirs de collégien et du catéchisme que l‘on peut resituer Jeanne dans l’Histoire telle qu’elle fut, et redécouvrir ainsi l’ampleur et la portée du témoignage de se vie. Alors commençons par quelques rappels.


Contexte politique :

Bien des historiens s’accordent à penser que la période la plus noire de notre histoire de France est sans doute celle que l’on désigne comme “la guerre de 100 ans”. Celle-ci connut des accalmies, mais il n’empêche que le pays fut profondément ravagé durant de très longues années, par deux  guerres concomitantes.

Il y a celle contre les Anglais qui débute en 1337 (75 ans avant la naissance de Jeanne).  Elle est d’abord marquée par la domination anglaise, qui va infliger de grands revers aux Français. Citons la bataille de Crécy en 1346, puis la défaite de Poitier en 1356, face aux troupes du Prince Noir. Le contexte social et économique s’en trouve profondément et durablement dégradé, ce qui suscite des révoltes plus ou moins violentes et organisées, dont celle d’Etienne Marcel et la grande Jacquerie de 1358 (54 ans avant Jeanne). De 1360 à 1380, les armées françaises connaissent un répit à leurs difficultés, sous la houlette de Charles V et du Guesclin, qui remportent un certain nombre de succès militaires. Mais à leurs morts (en 1380) s’inaugure le règne compliqué de Charles VI,  (“Charles le Fol”) lequel va progressivement sombrer dans la démence.

Commence alors une seconde guerre : la guerre civile qui oppose Armagnac et Bourguignon, de 1407, (soit 5 ans avant la naissance de Jeanne) jusqu’en 1435. La santé mentale de Charles VI le conduit à des crises de folie qui justifie de le placer sous contrôle. Et les deux branches cadettes des Valois s’écharpent pour le contrôle de la Régence. Ce conflit affaibli encore plus le Royaume de France et fait le jeu de l’Angleterre. La défaite d’Azincourt, en 1415 (Jeanne à 3 ans), avec l’effondrement de la chevalerie Française, catalyse les malheurs du pays. La disparition de 6000 chevaliers, parmi lesquels, de nombreux grands seigneurs, duc et princes de sang, à une époque où les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ne sont pas séparés, précipite le pays dans des difficultés de gouvernance à toutes les échelles. Ainsi s’ajoute aux malheurs du temps,  une insécurité permanente due aux bandes de brigands qui écument les campagnes et que nul ne contient. Notons qu’après le traité de Troye (21 mai 1420) qui modifie les règles de succession au trône de France, puis la mort des deux rois de France et d’Angleterre en 1422, la guerre reprends de plus belle. Jeanne a alors 10 ans.

A ces deux guerres simultanées, s’ajoute une autre calamité. En effet, 65 ans avant la naissance de Jeanne, l’Europe est frappée par la grande épidémie de Peste Noire (de 1347 à  1351).  Certains historiens estiment qu’elle a tué 7 millions de Français sur une population de 17 millions à cette époque. Quasiment 1/3 de la population de l’Europe va disparaitre, avec toutes les conséquences que cela peut avoir, notamment des épisodes de famines liés à la disparition de la main d’œuvre agricole et la diminution des surfaces cultivées. Le cocktail guerre/insécurité/épidémie n’en finit pas d’entretenir et d’amplifier les épreuves !

 Ainsi, lorsque Jeanne d’Arc nait à Domrémy, en 1412, le jour de l’Epiphanie, cela fait près de 80 ans que le pays et sa population connaissent et enchainent de grandes souffrances. Et dans ce contexte, l’on ne peut même pas compter sur l’Eglise pour chercher apaisement et stabilité, car celle-ci est également profondément divisée avec la crise d’Avignon. En 1412, l’année de la naissance de Jeanne, il y 3 papes !


Contexte religieux :

        De fait, le contexte religieux est celui d’une Eglise profondément meurtrie par “le grand schisme d’occident”. En 1378 (34 ans avant la naissance de Jeanne), l’Eglise se divise en deux obédiences, avec d’un côté, Urbain VI, pape à Rome, que les historiens nous disent soucieux de revenir à l’Evangile ; et de l’autre Clément VII qui gagne Avignon en 1379. Les deux obédiences se configurent aux divisions déjà acquises de la guerre 100 ans.  Elles se répartissent et fluctuent en fonction des partis-pris de la politique. Le St Empire Romain Germanique est l’objet de toutes les sollicitations par les deux clans de Rome et d’Avignon, qui veulent l’agréger chacun à son camp. Mais, s’il se dessine dans les territoires des tendances majoritaires pour les obédiences, on ne peut constater de réelle homogénéité d’appartenance aux échelons locaux. Le schisme divise profondément la chrétienté latine, jusqu’à l’intérieur même des diocèses, des ordres monastiques et des paroisses aussi.

En 1394 (18 ans avant la naissance de Jeanne), le pape de Rome est Boniface IX et celui d’Avignon, Benoit XIII. Pour tenter de résoudre le schisme, l’on tente de contraindre l’un des deux papes à abdiquer en faisant des “soustraction d’obédience” (en 1395, puis 1407). Cela signifie que des évêques, en France notamment, prennent leur indépendance matérielle, fiscale et disciplinaire vis-à-vis de la papauté, pour faire allégeance aux pouvoirs temporels. Cela ne réussira pas, et bien au contraire, cultivera et renforcera les antagonismes au sein de la hiérarchie de l’Eglise, ainsi que les confusions entre spirituel et temporel. Qui plus est, en se liant aux pouvoirs temporels,  bien des ecclésiastiques de haut rang y perdront leur autonomie et liberté politique.

En 1409 (3 ans avant la naissance de Jeanne), le Concile de Pise démets les deux papes et en élit un autre, Alexandre V, de sorte qu’en 1410, il y a 3 papes : le pape de Rome, Grégoire XII, l’antipape Jean XXIII, à Pise, et enfin l’autre antipape Benoit XIII. En 1415, le Concile de Constance dépose les antipapes, convainc le pape d’abdiquer et élit Martin V en 1417 (Jeanne à 5 ans). Mais Benoit XIII se retire en Aragon et demeure “antipape” jusqu’à sa mort en 1423.

Questions actuelles : 

Ces rappels d’histoire nous permettent de comprendre que Jeanne nait dans un monde particulièrement complexe et meurtri. Or, dans cette situation historique détériorée sur tous les plans, commence aussi à s’engendrer un monde nouveau. Dans la douleur, émergent par exemple et progressivement les états où l’idée de “couronne” devient plus importante que la personne du Roi. La Renaissance a commencée en Italie,  la “modernité” est en germe,  et c’est tout cela qui fait que la vie de Jeanne demeure d’une grande actualité et nous interroge : comment dans un contexte si peu favorable, une jeune femme, laïque, a su tracer un chemin de foi, d’Espérance et de charité ? Comment dans les méandres historiques d’une période tourmentée, cette jeune chrétienne va s’ouvrir une voie de sainteté ? Quel était son rapport à la politique, au conflit armé, à l’Eglise qui tour à tour la soutint et la condamna ?

Il faudrait être historient et théologien pour donner à ses questions l’ampleur et l’approfondissement qu’elles méritent. L’auteur de ces lignes n’est ni l’un, ni l’autre, mais simplement un curé de campagne dont la quasi-totalité des églises qu’il dessert abrite une statue de Jeanne d’Arc. Les propos qui s’ensuivent ne peuvent avoir qu’un objectif : redire et servir la pertinence de la figure de Jeanne d’Arc pour notre temps, en dégageant quelques pistes (parmi d’autres possibles) de réflexions pastorales et spirituelles pour nos vies personnelles et paroissiales.

1er repère spirituel :

1 – Une spiritualité de l’incarnation ou la conversion de l’histoire !

Ainsi donc, les voix de Jeanne d’Arc sont celles de St Michel, de Marguerite d’Antioche et de Catherine d’Alexandrie. Des voix qui ne sont que médiatrices d’une parole de Dieu que l’on n’entend pas directement. Il faut dire qu’en cette fin du Moyen âge, seuls les clercs ont accès aux textes de l’Ecriture, et les fidèles seraient bien en peine de citer des passages bibliques. D’autant que Jeanne ne sait ni lire ni écrire. Dans le panégyrique de Jeanne qu’il prononça le 22 mai 2022 en la cathédrale de Rouen, Monseigneur Jean-Pierre Batut, dit à propos des révélations de Jeanne, que l’on “discerne dans les voix la présence de Eglise. L’Eglise du ciel se penche vers celle de la terre et accompagne sa marche dans le temps. Et ce faisant, elle se montre solidaire des interrogations et des combats de cette même église pérégrinant, qui a son tour ne saurait rester étrangère au drame des individus, des familles et des peuples.” L’évêque de Blois poursuit son discours en faisant référence au Concile Vatican II, dans sa Constitution Pastorale sur l’Eglise dans le monde ce temps : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtouts et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. (…) La communauté des chrétiens se reconnait donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire ».  (GS n°1)

De fait, les voix de Jeanne ne lui parlent pas de la pluie et du beau temps ! Comme elle en témoigne à son  procès, ses voix lui parlent de la situation politique de son pays, des conflits en cours, de l’art et la manière de les conduire, des questions juridiques quant à la légalité des prétentions royales, etc. Ainsi, de la part de Dieu, les voix conduisent Jeanne d’Arc à comprendre que son Seigneur a décidé d’intervenir dans le concret de l’histoire pour que l’histoire des hommes, qui depuis 100 ans n’est qu’histoire dramatique, histoire de violence et d’affrontements, de guerre et de mort, que cette histoire-là devienne une histoire de droit et de justice, puis de paix et de réconciliation, et donc de charité.

On comprend alors quel est le sens de la mission de Jeanne d’Arc et ce qui fait sa sainteté. C’est le même mystère qu’au buisson ardent lorsque Dieu dit à Moïse (je cite) :

 

Ex 3, 7-9 : «J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens (…) Maintenant, le cri des fils d’Israël est parvenu jusqu’à moi, et j’ai vu l’oppression que leur font subir les Égyptiens. Maintenant donc, va ! Je t’envoie chez Pharaon : tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les fils d’Israël. »

 

Il s’agit ni plus ni moins que du mystère de l’incarnation, c’est-à-dire celui d’un Dieu qui se fait homme, qui s’engage dans les tourments de notre histoire d’ici-bas,  pour que cette histoire de péché et de perdition devienne une histoire du Salut. C’est bel et bien tout le mystère de l’incarnation, c’est la sainteté de Jeanne, et c’est l’appel qui nous est adressé : à la suite du Christ, de Ste Jeanne d’Arc et de tant d’autres, ne pas se contenter d’être les spectateurs et les commentateurs de la vie humaine, mais s’y engager résolument, sans crainte, pour en devenir les acteurs ! Et des acteurs qui renversent le cours de l’histoire pour mettre fin aux malheurs, aux injustices et aux violences jusqu’à ce qu’advienne le règne du seul vrai roi : roi de justice et de paix, d’amour et de vérité.

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20 janvier 2022

Mission paroissiale, guérison et pardon ?
janvier 20, 20220 commentaire

         


Au cours de cette mission paroissiale Notre Dame de Lourdes, nous avons célébré le sacrement des malades, qu'une vingtaine de personnes on reçu, et nous allons vivre aussi une veillée de "louanges et de guérisons". Or, à Massabielle, la Vierge-Marie n'a jamais parlé de guérison. Il semble aussi que  Bernadette, malgré son asthme et plus tard, sa tuberculose, n'a jamais demandé sa propre guérison ! Pourtant, il y en a eu, dès que la source fut mise à jour. Et la dévotion populaire des foules ne s'y est pas trompée, puisque très vite, avant même la fin des apparitions, les gens venaient à la fontaine, puiser de l'eau et même l'embouteiller pour la porter à d'autres. Alors que dire que penser à ce sujet ?

    Pour chacune de ces deux célébrations, telle qu'elles ont été prévue dans nos paroisses, le texte de référence est le même. Il s'agit de la guérison du paralytique que l'on fait passer par le toit pour le poser aux pieds de Jésus. Il convient peut-être de le relire, dans l'Evangile selon St Marc, au chapitre 2, versets 1 à 12.

    Tout d'abord, remarquons que la guérisons est le signe visible dune réalité plus profonde et invisible : le pardon des péchés. C'est cela qui semblait urgent, nécessaire et prioritaire à Jésus : offrir à cet homme le pardon de Dieu. La guérison physique n'intervient que dans un second temps, pour répondre à l'incrédulité de certains spectateurs qui dénient à Jésus la capacité de pardonner les péchés. Il faut un changement clairement perceptible pour vaincre le manque de foi ! Ainsi, dans cet épisode, la guérison est étroitement liée au pardon des péchés et à la conversion. On peut ainsi comprendre le lien entre les miracles de Lourdes et le message donné par la Vierge tel que transmis par Bernadette : Pénitence, pénitence, (...) priez pour les pêcheurs. 

    C'est bien dans cette perspective que nous vivons nos célébrations : elles sont prière pour toutes les guérisons : celle du corps bien évidemment, mais aussi celle du cœur et de l'âme. Dans le contexte compliqué qui est le nôtre depuis 2 ans bientôt, nous savons a quel point, les peurs et les incertitudes, les ignorances et les exaspérations, les décisions maladroites et ambigües ont causé bien des maux de toutes sortes. A l'intérieur de nos familles comme de nos paroisses, dans la vie professionnelle comme dans la vie courante, nos relations humaines ont été abimées, la confiance et le respects ont été affectés, la fraternité a été blessée, et parfois, jusqu'à des divisions irrémédiables. En tout cela, le péché s'est mêlé à la confusion de nos sentiments, de sorte que nous avons bien des guérisons à demander qui sont tout autant des conversions. Et nous avons autant besoin de thérapies que de pénitences pour vivre des réconciliations entre nous et avec Dieu.

    Et c'est pour tout cela que nous prions : guérir nos cœurs, nos amitiés, nos fraternités ; guérir de la défiance, des inimitiés, des rancœurs ; guérir de nos colères et de nos emportements, de nos mépris et de nos aversions. Et bien entendu, guérir de nos irresponsabilités comme de nos peurs irraisonnées ! 

    Guérir nos personnes, mais aussi nos familles, nos paroisses et toute notre Eglise, notre société bien entendu qui semble si profondément divisée ... 

  

 Nous prions par l'intercession de Ste Bernadette qui eut, elle aussi, à connaître les maux que nous affrontons aujourd'hui. Elle eut à assumer les conflits entre les "anti" et les "pro" ; elle eut à vivre des conflits de loyauté entre la promesse faite d'aller à la grotte pendant 15 jours et l'injonction des autorités et de ses parents de en plus y aller ; elle dut faire face aux premières "fake-news", avec les informations parfois loufoques qui circulaient à son sujet,  et jusque dans la presse ; elle eut à vivre avec la rumeur publique et les calomnies qui accusaient ses parents et elle-même de choses et d'autres ; elle fut la victime de mépris de classe bien réel ; elle dut aussi subir la jalousie spirituelle de certaines consœurs dans son couvent de Nevers ... et tout cela, en ayant à gérer les épidémies (choléra) et la maladie (tuberculose et tumeur), la pauvreté matérielle et la misère sociale, et une scolarité qui fut compliqué, chaotique et humiliante après avoir été inexistante ! 

    Et c'est dans tout ce contexte, marqué par l'omniprésence de la croix, que Marie est venue l'appeler à la pénitence et à la prière pour les pêcheurs. C'est bien de ses guérisons là dont il s'agit, les plus urgentes et prioritaires aux yeux de Dieu : guérir de nos péchés : prendre soin de nos vies  éternelles ! C'est pour cela que  nous prions !  Ce qui ne nous empêchera pas d'accueillir dans l'action de grâce un signe éventuel du passage et de l'action de Dieu au milieu de nous !

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25 décembre 2020

De Noël à la Mission paroissiale, médiation sur la nativité  ! (Publié le 25/12/2021)
décembre 25, 20200 commentaire

Frères et Sœurs, vous le savez, du 16 au 23 janvier prochain, nos paroisses auront la joie d’accueillir les reliques de Ste Bernadette, pour vivre une “mission Notre-Dame de Lourdes”, c’est-à-dire une semaine de prières et de célébrations à l’intention des familles, mais aussi et surtout, à l’intention des personnes malades et de ceux qui les soignent.

Ste Bernadette est née en 1844, et décédée à 35 ans en 1876. Elle a donc vécu au milieu du XIX° siècle, il y a 170 ans environs. Et je vous propose de vivre ce Noël 2021 dans la perspective de la mission à venir, en jetant un rapide regard sur ces 170 années qui nous séparent des apparitions de la Vierge Marie à Lourdes, auprès de cette jeune fille de 14 ans.

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12 décembre 2020

Méditation sur la Sainte Famille (publié le 12/12/2021)
décembre 12, 20200 commentaire

Frères et sœurs, pour célébrer la Ste famille, commençons par rappeler cet épisode dans lequel Jésus affirme que sa mère et ses frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique (Luc 8, 20-21). Ainsi, de la bouche même du Christ, nous savons que sa famille ne se restreint pas à celle des liens du sang, mais s’élargit à celle des liens de la Foi. La Sainte famille de Jésus, c’est l’ensemble des baptisés, c’est l’Eglise, chargée de l’accueillir en son sein et de le manifester au monde.

Or ces derniers temps, force est de constater que la famille du Christ que nous formons, n’a pas été aussi sainte que nous l’aurions voulu. A force de scandales, elle a plutôt montré à l’opinion publique qu’elle était une famille loin d’être sainte !

Dans l’oraison d’ouverture de cette messe, nous affirmions : « tu as voulu Seigneur que la sainte famille nous soit donnée en exemple (…) » et nous demandions ensuite : «  accorde-nous de pratiquer comme elle les vertus familiales (…) » Alors prenons le temps de contempler l’exemple donné à l’Eglise par Marie et Joseph dans l’évangile de ce jour, pour que nos familles humaines, ecclésiales et paroissiales, redeviennent vraiment de “saintes familles”. Car Dans cet évangile, Marie et Joseph, à la recherche de Jésus, tracent un itinéraire de conversion en quatre temps, d’une belle actualité.

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28 novembre 2020

édito du 28 -11-2021
novembre 28, 20200 commentaire

Entrée en Avent :

L’Evangile de ce jour, nous annonce la venue du “Fils de l’Homme”, un des titres que Jésus s’attribue lui-même et sur lequel nous étions déjà invités à méditer la semaine passée en la fête du Christ Roi. Et nous pouvons poursuivre cette méditation pour entrer en Avent.

Dans le livre de Daniel, le “Fils de l’Homme” est une expression qui désigne non pas un individu, mais un personnage collectif. Il s’agit du Peuple d’Israël, à qui est confiée la “royauté” et la “domination”, comme en atteste sans aucune ambiguïté possible le chapitre 7, verset 27 : « La royauté, la domination et la puissance de tous les royaumes de la terre, sont données au peuple des saints du Très-Haut. Sa royauté est une royauté éternelle, et tous les empires le serviront et lui obéiront. »

Et si Jésus s’attribue à lui-même le titre de “Fils de l’Homme”, figure du Peuple d’Israël, du peuple de Dieu dans l’Ancien testament, c’est peut-être pour nous inviter à y voir la préfiguration de l’Eglise, assemblée des baptisés qui devient corps du Christ par le mystère de l’Eucharistie. La venue du “Fils de l’Homme” peut s’interpréter comme l’avènement du Christ ressuscité, en son corps qui est l’Eglise et dont nous sommes les membres. Et la liturgie de la parole évoque et annonce ainsi un évènement bien contemporain, éminemment ecclésial et, (osons-le dire), paroissial !

Un évènement qui nous interroge et, ce faisant, résonne comme un appel urgent à la conversion. Le Christ est venu, il reviendra, et aujourd’hui encore, il advient au cœur de ce monde en son corps qui est l’Eglise. La promesse de l’Avent, est celle d’une Eglise qui advient au cœur du monde comme un signe de Salut ; promesse de communautés chrétiennes, membres du corps du Christ, qui apparaissent au sein des sociétés humaines comme des lieux d’espérance et des raisons d’espérer. Ainsi l’Evangile de ce jour prend toute son actualité, tout comme le “synode sur la synodalité”.

Dans ce monde inquiet jusqu’à l’angoisse des crises qui le traversent, dans nos sociétés humaines abimées, au milieu des hommes et des femmes de ce temps anxieux et tourmentés par les défis de l’avenir, quel visage d’Eglise voulons-nous faire apparaitre ? Que faire voir du “corps du Christ” à nos contemporains ? Comment nous convertir à devenir ensemble le “Fils de l’Homme”, ce peuple de saints dont le Christ est la tête ? Ce peuple qui, (pour reprendre l’expression de la première lecture de ce jour : Jr 33, 14-16),  accomplit en faveur de l’humanité la “parole de bonheur” adressée par Dieu à son peuple ?

Et pour cela, comment nos communautés chrétiennes, blessées et abîmées, défigurées et découragées parfois par les scandales à répétition qui surgissent dans les médias ces derniers mois, comment nos paroisses peuvent redevenir des maisons sûres, des familles accueillantes,  fraternelles et aimantes où chacun de réjouit de voir l’autre prendre sa place ?

De quoi sommes-nous en Avent ? N’est-ce pas d’une Eglise transfigurée, ne cessant jamais de chercher dans la conversion, sa configuration la plus juste au corps du Christ ? N’est-ce pas ce chemin de conversion que le Synode cherche à explorer pour donner à voir le “Fils de l’Homme”, le Christ en son Eglise, qui vient apporter le Salut et l’Espérance au cœur des vicissitudes de l’existence ?

Votre curé : Père Patrick

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10 octobre 2020

Homélie du dimanche 10 octobre 2021
octobre 10, 20200 commentaire

        Ce dimanche, s’ouvre à Rome ce que l’on appelle un synode dans le langage ecclésiastique. Il s’agit là d’une vaste consultation du peuple de Dieu, à l’échelle de l’Eglise universelle, qui permettra à tous de s’exprimer. Une sorte de “Brain-storming” géant, pour que chacun dise comment il voit les choses à propos d’un thème de réflexion donné.

Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Un synode de relève pas de l’art du “management”, ni d’une technique plus ou moins démocratique d’expression. Il s’agit d’un acte de discernement spirituel qui nous dispose à écouter ce que l’Esprit dit à l’Eglise, ce qui suppose qu’ensemble, en communauté, nous nous mettions à l’écoute de la Parole de Dieu. Le synode est un acte de prière, c’est la raison pour laquelle on ne parle pas “d’organiser”, mais bel et bien de “célébrer” un synode.

Ce synode-là est convoqué sur un thème en trois mots : communion ; participation ; mission. Il s’agit de discerner comment l’Eglise peut et doit s’organiser pour rester unie et que chacun devienne, en son sein, un disciple missionnaire capable de prendre sa part de l’annonce de l’Evangile.

Bien entendu, ce synode est en partie voulu par le pape François, en réaction au séisme accablant des multiples abus qui ont abimé tant de victimes et finalement défiguré l’Eglise du Christ. Il s’agit désormais que notre Eglise devienne une maison sûre, qu'elle soit en ordre de mission, dans un monde qui ne cesse de changer, au service d’une humanité confrontée à des défis inédits, tels que la question écologique ou celle de la bioéthique par exemple.

La perspective de ce synode nous offre peut-être une possibilité d’actualisation de l’Evangile de ce jour. Car, au fond, il s’agit bien de cela dans un synode : marcher ensemble, avec Jésus, suivre le Christ et devenir son compagnon de route. Nous pourrions faire nôtre la devise de nos Petites Sœurs Disciples de l’Agneau, qui se sont approprié de belle manière une citation de l’Apocalypse : « les petites sœurs suivent l’Agneau partout où il va.»

Comment chacun de nous personnellement, et tous ensemble en communauté paroissiale, nous voulons et nous pouvons suivre le Christ là où il nous précède et nous entraine ? Et d’une manière prophétique, l’expérience du jeune homme riche vient nous interpeller sur nos désirs et capacité à suivre l’Agneau, en nous rappelant une réalité bien humaine qui est aussi éminemment spirituelle.

Cette réalité, c’est que l’Homme est limité ! Il y a une finitude de la condition humaine, de sorte qu’il est impossible de tout avoir, de tout faire et d’être partout à la fois ! Au contraire du syndrome adolescentrique de la toute-puissance, la maturité de l’adulte consiste en un consentement à ses limites, qui se réalise dans la conscience vive qu’il n’existe pas de choix sans renoncement ! Et cette vérité de notre condition humaine est aussi valable pour notre vie religieuse : suivre le Christ suppose d’assumer des renoncements !

Or, il y a là une question désormais urgente et cruciale pour l’avenir de notre Eglise et de nos paroisses. De fait, s’il est facile d’identifier les renoncements les plus superficiels (renoncer à sa randonnée cycliste du matin pour aller à la messe, ou à son émission télévisée pour conduire ses enfants au catéchisme par ex.), force est de constater qu’il existe des attachements désordonnés plus subtil à diagnostiquer.

-      N’est-pas l’incapacité à renoncer à son image de marque dans l’opinion publique qui a pu conduire notre Eglise à ne pas dénoncer les crimes qui se commettaient en son sein ?

-        N’est-ce pas le refus de renoncer à une réputation dans un cercle d’amis ou un groupe social qui a conduit des familles à ne pas dénoncer des agressions dont leurs enfants étaient victimes ?

Et nous pourrions multiplier les exemples de ces “grands biens” auxquels nous sommes suffisamment attachés pour qu’à l’instar du “jeune homme riche” nous préférions finalement ne pas suivre le Christ sur les chemins de l’Evangile !

La question des disciples de Jésus peut donc (et doit, même) devenir la nôtre : « Mais alors qui peut être sauvé ? » Est-ce que l’Eglise peut être sauvée de sa culpabilité désormais révélée au grand jour ? Est-ce que nos paroisses peuvent être sauvées de leur vieillissement, où de la sécularisation croissante de  nos contemporains ? Est-ce que nos sociétés peuvent être sauvées des catastrophes écologiques, ou économiques, ou sociales ? « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu » dit Jésus.

Reste à savoir ce à quoi il nous faudra courageusement renoncer pour suivre l’unique Sauveur là où il veut nous conduire ?

-     Renoncer à une certaine conception de l’organisation paroissiale ? De la répartition des tâches et responsabilités entre prêtres et laïcs ?

-  Renoncer à un certain attachement à nos communes, au quadrillage ecclésiastique du territoire ?

-      Renoncer à nos nostalgies d’un passé pseudo-chrétien idéalisé et que nous ne pourrons jamais restaurer ?

-        Renoncer à des manières de vivre et de consommer désormais incompatibles avec les enjeux et défis d’aujourd’hui ?

Quels sont les détachements que nous devons vivre et assumer, la saine pauvreté dans laquelle entrer, la sobriété heureuse qu’il nous faut choisir pour suivre le Christ ?

Fort de ces questions, pour l’avenir de notre Eglise et de nos paroisses, pour ce synode qui s’ouvre aujourd’hui et dans le contexte qui est le nôtre, je veux conclure et redisant ici la citation de Bernanos par laquelle Sœur Véronique Margron, Présidente de la Conférence des Religieux et Religieuses de France (CORREF), terminait son allocution après la réception du rapport de la CIASE. Dans cette conférence de 1945, avec un autre vocabulaire, Bernanos parlait déjà de détachement, de renoncement, mais aussi de la perspective d’un avenir de grâce dans les pas de Jésus-Christ :

« L’espérance est une détermination héroïque de l’âme, et sa plus haute forme est le désespoir surmonté. On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prennent faussement pour de l’espérance. L’espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son âme… On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts »

Alors, n’ayons pas peur de plagier encore nos grands anciens et, avec ce synode qui s’ouvre,  entrons dans l’Espérance, tous ensemble !

                                                                                                                    Père Patrick


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07 octobre 2020

Editorial du 07 octobre 2021 :  Le scandale des abus dans l'Eglise.
octobre 07, 20200 commentaire
       Ce mardi 05 octobre, j’étais avenue de Breteuil, dans les locaux de la Conférence des Evêques de France (CEF), pour participer à une session de travail du Service National de Pastorale Liturgique et Sacramentelle (SNPLS). Ce même jour, était publié le “rapport de la commission Sauvé”, mise en place par nos évêques pour faire la lumière sur le drame des abus et des agressions au sein même de l’Eglise. 
        Toute la journée les interviews se sont enchainées : Mgr Eric de Moulin-Beaufort, président de la CEF, Mgr Luc Crépy évêque de Versailles et chargé de la lutte contre les abus sexuels dans l’Eglise de France, Mgr Aupetit, archevêque de Paris, et d’autres encore, ici ou ailleurs, ont commenté ce rapport et répondu aux questions des journalistes. Etant sur place par hasard, j’ai eu l’opportunité de discuter avec les uns ou les autres, notamment avec le Père Crépy que je connais par ailleurs. 

        Alors que dire ? 

        D’abord, que ce “rapport Sauvé” est intelligent, fruit d’un travail long et rigoureux, très éprouvant aussi pour ceux qui l’ont mené à bien. Les chiffres qu’il donne sont fiables et … terriblement accablants ! Il n’y a pas de mots ! Ensuite, que le diagnostic est clair : le drame des agressions et abus dans l’Eglise n’est pas dû qu’à des personnes déviantes, mais il est aussi lié à un problème institutionnel qu’il va falloir identifier précisément. De plus il n’est pas dû à une mentalité libertaire des années 70, qui aurait polluée l’Eglise de l’extérieur, mais il a commencé bien avant et vient aussi “de l’intérieur”. Enfin, que l’Eglise n’est pas concernée “comme d’autres institutions”, ou “parmi d’autres”, mais bel et bien “plus qu’ailleurs” en son sein, même si ce constat demande à être nuancé. 

       Bref, l’ampleur et l’analyse du phénomène conduit à des conclusions implacables : il y a une partie du problème qui est propre à l’Eglise, ce qui suppose d’accepter une profonde remise en cause, pour aller vers une réforme de nos modes d’organisation et de gouvernance. Il faudra aussi travailler à une reformulation de notre théologie du sacerdoce, et de notre compréhension de l’identité des prêtres, pour éviter les dérives idéologiques qui promeuvent la figure du prêtre comme “quasi divin” et donc “intouchable”. 
        
         Mais avant tout, il convient que l’on soit clair : ce drame et ses conséquences sont l’affaire de toute l’Eglise, et pas seulement des clercs ou de la hiérarchie. En effet, il n’y a pas que des prêtres ou des religieux qui ont été des coupables, mais également des laïcs. Ensuite, le silence n’a pas été que celui d’une hiérarchie qui se protège, mais également de familles qui préservaient leur propre réputation. Enfin, beaucoup de fidèles, aussi bien laïcs que ministres ordonnés, entretiennent et diffusent une image idolâtrique de la figure du prêtre qui participe à l’idée de toute puissance, et d’impunité. 

         C’est donc tous ensemble, en communauté, qu’il convient de faire face. Le prochain synode sur la synodalité, voulu pour le pape François, à propos justement de l’art et la manière de gouverner l’Eglise, sera probablement l’occasion de marcher tous ensemble vers les conversions indispensables qui feront de notre Eglise une maison sûre ! 

         Prions les uns pour les autres à cette intention ! 

                                                                                                                                     Père Patrick
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